L'espace dans le roman contemporain français :
approches linguistiques et littéraires
Dunkerque, 11-12 octobre 2018

Chiara Rolla

Pour une cartographie des lieux imaginaires : Environs et mesures(2011) de Pierre Senges

L’œuvre érudite et encyclopédique de Pierre Senges (1968) révèle les échos et les traces d’un univers poétique qui ressemble fortement à un labyrinthe baroque aux jeux de miroirs. Réécritures, parodies, suites, pastiches ? Difficile de trouver une définition générique pour des textes qui nouent un rapport renouvelé et subversif avec la littérature et le(s) savoir(s) d’hier et d’aujourd’hui. Beaucoup de ses ouvrages manifestent un goût pour le jeu sur la vérité et le mensonge (Veuves au maquillage ; La Réfutation majeure) et surtout un rapport renouvelé de la littérature au savoir et de la littérature d’aujourd’hui avec celle d’autrefois (Fragments de Lichtenberg ; Études de silhouettes ; Sort l’assassin, entre le spectre ; Achab (séquelles)). Pas de table rase chez cet écrivain ni de réécriture classique : ses textes sont une œuvre seconde qui travaille à partir du déjà écrit et qui mettent en scène une bibliothèque foisonnante, riche et sans ordonnancement préétabli, révélant la passion savante et érudite d’un encyclopédiste boulimique. Le procédé de réécriture antiromanesque, ironique, « contre-historique » et « antimythique » exploité par Senges lui permet de proposer à ses lecteurs une façon d’observer le monde en se servant d’un point de vue tout à fait dérisoirement lointain et contradictoire par rapport à la tradition littéraire.
Force est de constater qu’alors qu’ins¬tallé dans son laboratoire créatif, qui ressemble beaucoup à la borgésienne biblio¬thè¬que de Babel, « l’écrivain brouille les réfé¬ren¬ces, efface les écritures ou leur adjoint ses pro¬duc¬tions apo¬cry¬phes . » Listes, inventaires, exploration et exploitation d’archives et de bibliothèques: ce sont des stratégies d’écriture et des espaces que Senges explore et qui suscitent chez ses lecteurs un véritable effet d’étourdissement et de distanciation comparable à celui que des espaces baroques tels que les galeries de glaces et les labyrinthes de miroirs évoquent.