L'espace dans le roman contemporain français :
approches linguistiques et littéraires
Dunkerque, 11-12 octobre 2018

Jacques Brès

De ce que la langue construit à partir des verbes de déplacement aller et venir : mouvement spatial, mouvement abstrait, auxiliarisation temporelle, modale, narrative

Notre communication, très linguistique (!) même si elle prendra des exemples dans la littérature romanesque contemporaine, a pour objet les verbes de déplacement aller et venir et certaines des constructions qu’ils ont permises au fil des siècles. Nous montrerons que l’espace, et plus précisément le déplacement dans l’espace, est un creuset pour développer d’autres relations : temporelle, modale, narrative.

Nous partirons du sens des verbes de déplacement aller et venir qui structure tant leur sémantisme commun – le déplacement vers une destination – que leur différence : l’orientation déictique (venir : je viens à Dunkerque) / non déictique (aller : je vais à Dunkerque) du déplacement. Nous analyserons dans un second temps comment on passe du mouvement concret au mouvement abstrait  (Langacker 1986), qui sert notamment à construire les descriptions. Nous partirons d’une page des Âmes fortes où J. Giono joue à décrire la route qui conduit au village de Châtillon :

1. il y a une route qui vient de la Drôme. Elle vient ! Elle en fait des manières pour venir ! (J. Giono, Les âmes fortes, 1953) 

Dans un troisième temps nous étudierons la grammaticalisation de ces verbes en auxiliaires dans trois constructions : temporelle d’ultériorité (2) et d’antériorité proximales (3) ; extraordinaire (4, 5, 6) ; narrative (7, 8) :

2. Thérèse va aller chercher du travail. Elle va se proposer pour faire des ménages, même des lessives. (J. Giono, Les âmes fortes, 1953)

3. La ferme était bien délabrée…(…) Le vieux qui la tenait en dernier il venait de mourir deux mois plus tôt et personne dans toute la famille n’avait voulu le remplacer… (L. – F. Céline, Mort à crédit, 1936)

4. J’avais trente ou quarante francs de côté que je m’étais mis à gauche pendant au moins plus d’un an. Sais-tu ce que je vais m’imaginer de faire ? Et juste ce jour-là ? (J. Giono, Les âmes fortes, 1953)

5. (Une jeune femme, secrétaire de direction dans une usine en grève, répond à sa mère qui la soupçonne d’entretenir des relations intimes avec le directeur) :

– L’usine est occupée, ça va être la bagarre, les licenciements et tu t’imagines que j’irais m’envoyer en l’air avec le patron ? Mais tu es bonne à enfermer de penser des choses pareilles ! (Mordillat, Les Vivants et les morts, ??)

6. – M’habiller ?
– Oui. C’est pas prudent d’entrer nue comme ça chez trois vieux gars. Il vous arriverait des choses et après vous viendriez dire qu’on s’est conduits comme des goujats. Pourtant ce serait pas notre faute, mais la vôtre ! Elle éclata de rire, reconnaissant la voix et le style. (Vincenot H., Le Pape des escargots, 1972)

7. Sur ces propos, feirent leur accord, et, en regardant le lieu le plus propre pour faire ceste belle oeuvre, elle vat dire qu’elle n’en sçavoit poinct de meilleure ne plus loing de tout soupson, que une petite maison qui estoit dedans le parc, où il y avoit chambre et lict tout à propos. Le gentil homme, qui n’eust trouvé nul lieu mauvais, se contenta de cestuy-là. (M. de Navarre, L’Heptaméron, 1550)

8. Teddy Pendergrass est remarqué par Harold Melvin, leader du quintette vocal The Blue Notes. Il rejoint alors la formation, qui va enchaîner une succession de tubes. En 1976, Teddy Pendergrass décide de mener une carrière solo et quitte les Blue Notes. Il va régulièrement occuper les premières places des meilleures ventes de disques aux USA. (Le Monde, Obituaire de T. Pendergrass, 27.1. 2010)

On posera la question – à laquelle pour l’heure nous n’avons pas de réponse – de savoir pourquoi les romanciers contemporains (pas plus d’ailleurs que les narrateurs en récit oral conversationnel) n’usent pas (du moins à notre connaissance (limitée) qui ne demandera qu’à être complétée !) de la construction narrative va + inf., illustrée en (7) et (8), que l’on trouve dans différents genres narratifs journalistiques (obituaires, récits de vie, récits d’expérience scientifique notamment), écrits comme oraux, en concurrence avec les temps narratifs que sont le passé simple, le passé composé et le présent.